Je travaille à la conception de contenus d'expositions thématiques, permanentes (ce sont alors des musées) ou temporaires. Ce sont plutôt des thèmes d'histoire ou de sciences, mais pas uniquement - j'ai fait par exemple le contenu d'un petit musée Guillaume Apollinaire à Stavelot, en Belgique. Bien souvent, de toutes façons, les thèmes couvrent plusieurs champs disciplinaires.
En quoi cela consiste-t-il de concevoir un contenu d'exposition ?
C'est définir la manière de traiter un sujet, l'approche éditoriale : le champ historique et géographique, les thématiques, les focales ou les angles de vue, le séquençage et la
structure du discours sont définis, imaginés, et, s’il y en a, la distribution des collections. Ceci se fait aussi en prenant en compte le lieu, les publics, les possibilités budgétaires.
La différence avec un livre, une revue, ou encore un film, tient dans le fait que pour une exposition on ajoute au traitement éditorial les modes de matérialisation du propos : le
traitement muséographique, les modalités de la médiation et la nature des supports de médiation du propos. On dispose en effet dans une exposition de multiples
moyens d'expression - cela peut être des œuvres d'art, des objets de collection, des textes, des images, des documentaires, des jeux, des manips, des interactifs, des dispositifs inventés pour la
circonstance, des sons, des matières... la liste de ces supports de médiation n’est pas exhaustive.
Un discours (le programme muséographique) est donc pensé pour se transformer en un parcours, qui est plus que tridimensionnel puisque la composante du temps, du
mouvement va intervenir. L'objectif didactique est premier, et pour l'atteindre il faut inventer des modalités de rencontre entre un sujet/thème, ou des collections avec les futurs visiteurs.
Cela s'appelle programmer ou scénariser. Les termes de programme ou de scénario prévalent aujourd’hui. On en trouvera des exemples dans la rubrique "méthodes, vocabulaire, exemples".
Ce métier suppose avant tout d'ingérer des savoirs et des histoires, par les livres (il y a toujours un grand travail documentaire, silencieux et long), et par des échanges
directs avec des spécialistes, historiens, scientifiques, et savants en tout genre. La question est non pas de devenir spécialiste à mon tour de tel ou tel sujet, mais de le connaître
suffisamment bien pour pouvoir transformer un matériau brut (le savoir) en quelque chose d'usiné, de transformé : des contenus d'exposition qui doivent être accessibles et justes.
Mon travail suppose des collaborations et des échanges nourris avec les scientifiques du sujet. Ils sont éventuellement déjà en place mais, si ce n’est pas le cas, je peux aussi éventuellement les identifier et les associer à un projet, si le commanditaire le souhaite. Dans d'autres cas, plus rares, il peut s'agir d'un dialogue et d'une collaboration avec des conservateurs en place.
La conception de ces contenus inclut le suivi de la réalisation des supports de médiation. Exemple : un documentaire que je souhaite pour montrer ceci ou cela, il s'agit d'abord
pour moi de le définir, l'imaginer, et de le faire exister déjà virtuellement dans un parcours. Ensuite, d'en écrire le synopsis, puis de choisir le réalisateur. Enfin de travailler avec lui
jusqu'à ce que le documentaire en question soit « bon à diffuser » . Cet exemple vaut pour tous les supports de médiation, cela peut être une maquette, un interactif etc.
La conception de contenus d'expositions implique évidemment de travailler avec les scénographes - souvent des architectes - qui, eux, expriment ces contenus muséographiques dans
l'espace, imaginent des volumes, des lumières, des mobiliers, des décors, des matériaux etc. Et donc interprètent les contenus définis. Evidemment cette histoire entre contenus et
contenants (entre muséo et scéno) est compliquée car ils s'influencent et s'élaborent dans cette influence même. La conception des contenus n'est pas gelée, elle évolue, elle joue avec les
propositions des scénographes, qui eux-mêmes jouent avec les contenus. Que cet aller-retour soit facile ou pas, il est toujours fécond : c'est un travail de dialogue, de compréhension réciproque,
et d’adéquation. C'est une co-création.
J'écris souvent les textes de " mes " expos (dire mon expo est un paradoxe, car il n'y a rien de plus collectif qu'une expo, ce que souvent commanditaires et usagers ont du mal à
imaginer). J’assure aussi la recherche iconographique. J'ai à travailler avec les graphistes pour la réalisation graphique.
Ce métier, tel que je l'exerce, intègre aussi une participation active au processus global de production : organisation des équipes, budgétisation, plannings, définition des prestataires à associer, rédaction de leurs cahiers des charges, participation à leur sélection, mise au point de marchés, etc.
Les grandes étapes de ce processus de création sont esquissées à cette page.
Tout ceci signifie parler pas mal de langues.
J'agis ou bien sous la forme d’un commissariat général, ce qui signifie une direction de l'ensemble d'un projet,ou bien en muséologie-muséographie-médiation seulement, en étant alors soit intégrée à une maitrise d'œuvre architecturale et scénographique, soit en étant prestataire directe du client final, généralement un commanditaire public. J'interviens toujours intuitu personae, et, selon les configurations d’un projet, je forme des équipes rassemblant les compétences utiles.
Nous sommes quelques uns à pratiquer ce métier, souvent exercé dans les institutions mêmes. Nous sommes peu à le faire de façon indépendante. Les conservateurs de musée d'une certaine manière font un peu la même chose, si ce n'est que souvent l'existence de collections fait que les supports de médiation autres sont peu présents.
Mon activité d'ingénierie culturelle consiste, elle, en interventions de conseil autour de la définition de l'identité d'équipements culturels nouveaux, ou de questions de
stratégie culturelle, ou encore de la conception éditoriale de documents ou de programmes d’animation culturelle. Ce sont ce que l'on appelle des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage.
Le nom de ce métier ?
Le métier que j'exerce a une dénomination qui varie d'un pays à l'autre, d'une époque à l'autre, voire d'une institution culturelle à l'autre : on dit parfois muséologue, parfois muséographe. Aujourd’hui, je dis plutôt muséographe, mais le terme est ambigu car de nombreux architectes-scénographes se disent muséographes.
On parle parfois aussi d'expographie, intitulé que je serais prête à adopter puisque je n’interviens pas que dans des musées, et que je conçois des expositions.
Les termes de muséologie et de muséologue semblent actuellement réservés aux universitaires qui étudient l’histoire des musées, leur évolution et - en France tout du moins, car ce n'est le cas ni en Belgique, ni au Québec où mon métier s'appelle bien muséologie.
(Quelques détails ici pour les dénominations.)